L'éducation dans la famille
1 - Une initiation précoce et progressive
Aux yeux des pédagogues du Moyen Âge, entrer jeune dans le monde du travail représente en quelque sorte une assurance sur la vie. Débuter jeune est une garantie de succès. Cependant, ce n'est que progressivement que les enfants, destinés à prendre la suite de leurs parents, sont insérés dans les activités économiques de ces derniers, qu'ils soient paysans ou artisans des villes.
Le jeu : l'initiation professionnelle passe d'abord par les jouets façonnés pour l'enfant. Même le déguisement est jugé formateur. La vie d'enfant consiste un peu, à travers le jeu d'imitation, à se préparer à l'âge adulte.
Regarder travailler les parents : comme le démontrent les images, des enfants très jeunes sont présents sur le lieu de travail des parents, qui peuvent ainsi à la fois les surveiller et les initier à la pratique du métier. À examiner les recueils de miracles, il paraît évident que les enfants accompagnent très souvent les adultes au travail : en milieu rural, l'outillage agricole est en effet responsable de nombreux accidents dans les premières années de la vie. Les enfants apprennent sans doute très jeunes à reconnaître les plantes du jardin et les simples (herbes médicinales). Cette observation attentive des activités parentales est sans doute accompagnée de conseils variés.
Plusieurs exemples nous incitent à penser que l'insertion professionnelle débute dès que l'enfant a acquis une certaine maîtrise de la parole, ou une première initiation scolaire, très précoce. Dès avant cinq ans, un enfant peut être jugé assez grand non seulement pour apprendre en les observant les gestes techniques des parents mais même pour être considéré comme le témoin valable d'une transaction commerciale.
Aider les parents dans leurs tâches quotidiennes : toutes les activités sans danger sont attribuées aux enfants. Filles et garçons participent à l'éducation des cadets. Le ramassage du petit bois et le portage des fagots est l'un des travaux enfantins le plus souvent représenté par les enlumineurs. Le jardinage est un rôle enfantin traditionnel, à la campagne comme dans les monastères médiévaux où les enfants moines passent leurs récréations non seulement à jouer mais à s'activer dans le potager. Les jeunes assistent également la mère dans la corvée d'eau et les activités textiles. Ils assurent à table le service et la boisson. L'enfant des deux sexes et souvent chargé de porter son repas au père resté au champ.
2 - Les garçons aux champs
La vie quotidienne du jeune paysan n'est pas des plus faciles. La principale tâche du jeune garçon est d'éliminer les animaux prédateurs des cultures, de tuer les crapauds et les gros insectes du jardin, pour protéger le potager.
C'est d'abord avec le père que les garçons sont mis au travail, ramassant les raves, l'accompagnant au champ pour la moisson, portant les gerbes de blé au chariot, tirant par la bride le cheval attelé à la herse. Ils tiennent les pattes du mouton que l'on tond.
L'élevage surtout fait partie de leurs activités et ils sont largement livrés à eux-mêmes pendant la journée. Ils gardent d'abord les oies, puis les cochons, puis ils mènent les chevaux à la charrue. C'est généralement vers cette époque de la vie (dix ans) que surviennent les premiers accidents du travail. Vient ensuite l'âge des responsabilités : troupeaux importants, porcs.
3 - Les filles
Sur les enluminures, les filles apparaissent peu dans la vie rurale du Moyen Âge. De même que les garçons apprennent sous la férule paternelle, les filles sont mises au travail aux côtés de leur mère. Elles la soulagent d'une partie des corvées domestiques voire la remplacent lorsqu'elle est malade, absente ou défunte.
Les sources judiciaires signalent les activités agricoles des fillettes et des jeunes filles, parce qu'elles sont parfois agressées sur leur lieu de travail. Elles sont à l'étable, à faire un travail de force malgré leur jeune âge, elles gardent toutes seules les troupeaux de moutons et de vaches. En effet, les travaux agricoles ne sont pas réservés aux garçons et l'hypothèse de la spécialisation des femmes dans les tâches domestiques (cuisine, jardin, eau, maternité, puériculture) est loin de se vérifier pour les petites filles. Comme leurs frères, elles vont aux champs et poussent même la charrue, s'il faut en croire les témoignages des contemporains, tout ceci à partir de sept ou huit ans.
De très jeunes filles oeuvrent également au moulin, à moudre le grain. Plus généralement, elles exercent avec leur mère tous les métiers spécifiquement féminins : cueillette des olives dans le bassin méditerranéen, arrosage des plantations, vente au marché des produits du jardin, etc. Aux lourds travaux, il faut ajouter les tâches domestiques, dont elles sont spécialement chargées (travaux couturiers, travail de la soie et du lin).
4 - Une éducation paysanne
Mais on ne se contente pas d'apprendre à travailler aux enfants. De rares et précieux témoignages démontrent que les ruraux sont tout aussi soucieux que les nobles d'éduquer leurs enfants dans les bonnes manières. Il existe des témoignages sur l'éducation des filles de la campagne dans le procès de Jeanne d'Arc. On en saurait sans doute plus sur les moeurs paysannes si les ruraux avaient laissé des textes. On croit cependant reconnaître des comportements partagés avec la noblesse ou la bourgeoisie : ainsi, la «réserve» de Jeanne d'Arc est recommandée aux filles de tous les milieux sociaux.
L'éducation hors de la famille
1 - L'abandon
Dans les périodes difficiles, en particulier au bas Moyen Âge, l'abandon est la solution la plus chrétienne pour se séparer d'un enfant que l'on ne peut élever. Les Pères de l'Église et les législateurs postérieurs légitiment l'abandon pratiqué par les plus démunis et encouragent vivement les parents qui ne peuvent faire autrement à se dessaisir d'un de leurs enfants en venant le déposer dans des lieux publics afin qu'ils soient trouvés plus sûrement.
Selon John Boswell, si une élite chrétienne commence à critiquer l'abandon, c'est moins en mettant en avant le devoir d'amour et d'éducation des parents qu'en recourant aux considérations éthiques : les risques mortels auxquels on expose le bébé et surtout la hantise de relations incestueuses involontaires de l'enfant et du parent «adoptant».
2 - L'adoption
Dans l'Antiquité, les hommes peuvent manipuler leur parenté grâce au divorce et à l'adoption. Au haut Moyen Âge, ces derniers n'ont pas disparu même si l'Église s'y oppose. De nombreux cas d'adoption sont attestés chez les Mérovingiens. Elle peut être doublée d'un lien du sang (neveux), ou se faire à l'extérieur de la parenté.
C'est surtout à partir du début de l'époque carolingienne que le divorce et l'adoption deviennent difficiles pour les grands et que l'Église occidentale réussit, progressivement, à interdire et contrôler les manipulations de parenté. Ce blocage juridico-canonique n'empêche pas, dans les siècles suivants, l'existence d'une adoption «informelle», provoquée par la mort des parents, l'abandon, la séparation des couples, la mise en nourrice, le fosterage1 ou le travail des enfants.
3 - Les enfants esclaves
Il est difficile de savoir si la vente d'enfants est très fréquente et si elle se poursuit à la fin du haut Moyen Âge. En 1179 encore, le canon 26 du Concile de Latran III condamne la pratique de vendre des enfants aux sarrasins et aux juifs.
Les enfants esclaves sont très demandés en Italie et en Sicile, et même dans la France du Sud. Aux XIVeme et XVeme siècles, les esclaves blancs sont de loin majoritaires. L'Église autorise leur acquisition à condition qu'ils soient infidèles, condition qui est loin d'être systématiquement observée. Outre des Maures et des Turcs, plutôt achetés comme objets de luxe et de curiosité, ce sont des enfants tartares, tcherkesses, russes et des peuples du Caucase, parfois vendus par leurs propres parents, qui sont acheminés dans les ponts inférieurs des navires génois.
Au XVeme siècle, les Turcs vendent aux bourgeois italiens des esclaves serbes, bulgares, hongrois ou bosniaques. Chaque année, à Gênes, ce sont des milliers de jeunes filles et de jeunes femmes orientales ou slaves qui débarquent pour être achetées par la bourgeoisie marchande italienne.
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